Page Electricité

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1891 – QUILLAN PREMIERE VILLE DU DEPARTEMENT DE L’AUDE ECLAIREE A L’ELECTRICITE
Henri ALAUX *
Le 11 juillet 1891, à 9 heures, les membres de la Société d’Etudes Scientifiques de l’Aude, à la veille d’une excursion dans la Haute Vallée, arrivent à Quillan.
A la descente du train, ils sont aimablement accueillis par le Dr Vaysse, organisateur de la promenade, mais aussi «éblouis par les feux Edison» comme le souligne le Dr Peyronnet dans son compte-rendu (1) qui ajoute plus loin «la lumière électrique nous éclaire de ses feux blancs tandis que «nous défilons devant les quillanais qui nous regardent avec des airs légèrement protecteurs».
Les quillanais avaient, en effet, de quoi être fiers; quelques jours avant, le 28 juin 1891, ils avaient vécu une grande journée, disons même, une journée historique en cette fin du XIXe siècle que certains qualifièrent à juste titre, de «siècle de l’électricité».
Quillan venait d’inaugurer l’éclairage électrique pour ses rues, ses promenades, ses places et ses maisons particulières. Cet évènement, le premier dans le département de l’Aude, était le résultat d’un siècle de recherches auquel le congrès international de 1891 met un terme en donnant le départ d’une ère technique qui allait changer le visage du Monde.
Au cours de l’exposition qui se tint du 15 septembre au 15 octobre 1881, les électriciens adoptèrent un système d’unités ayant pour bases le centimètre, le gramme et la seconde et précisèrent les définitions de l’ohm, du volt, de l’ampère, du coulomb, du farad. Ils se préoccupèrent de la distribution de l’électricité et du transport électrique à distance.
L’électrification de la France débuta dans les petites villes des régions montagneuses du Dauphiné, de la Savoie et des Pyrénées, pays de torrents, favorables à la production du courant électrique. Celui-ci sera utilisé tout d’abord sur les lieux mêmes.
Dans notre département, un ingénieur des Ponts et Chaussées, Joachim Estrade, construit en 1889, la voie ferrée Quillan-Rivesaltes. Installé à Axat, il a de nombreux contacts avec les municipalités de la région et en particulier avec celle de Quillan. Il s’intéresse de très près aux nouvelles applications de l’électricité et aux possibilités qu’offre la Haute Vallée de l’Aude dans ce domaine.
La ville de Quillan est alors éclairée par quarante et une lanternes au pétrole ; la ville s’est agrandie et le besoin d’un nouvel éclairage est de plus en plus nécessaire.
Le maire désigne une commission dont la mission sera de rechercher un nouveau système d’éclairage.
Après un long travail d’études et de réflexions, elle rejette d’une part pour son coût, le remplacement des installations existantes et vétustes d’éclairage au pétrole, d’autre part pour sa non fiabilité l’éclairage au gaz et opte pour l’éclairage à l’électricité.
Ce choix est fait non seulement d’après les nombreux renseignements, tous très favorables, recueillis auprès des villes qui ont adopté ce mode d’éclairage : La Roche-sur-Foron, Bourganeuf, Mende, Espalion, mais aussi après un voyage à Ax-lesThermes au cours duquel la commission a pu examiner sur place les installations et apprécier les avantages indiscutables de l’éclairage à l’électricité.
Il est aussitôt demandé à J. Estrade l’étude d’un projet d’électrification de la ville de Quillan. Celui-ci est terminé le 20 juillet 1889.
Le 26 juillet 1889, au cours de la réunion du conseil municipal, le Maire, Goize, après avoir exposé les conclusions de la commission, soumet aux membres présents le projet dressé par J. Estrade et comprenant :
– l’acquisition d’une usine électrique capable de produire une force motrice de 40 chevaux ;
– la transformation de cette usine et l’achat d’un moteur ;
– la partie électrique proprement dite.
L’installation d’éclairage public comprendra 67 lampes dont le pouvoir éclairant total sera deux fois et demi plus intense que l’éclairage actuel.
J. Estrade ayant calculé la puissance de l’usine pour l’alimentation de 300 lampes de 16 bougies, il reste donc 230 lampes pour l’éclairage des particuliers. A ce jour les abonnements déjà souscrits représentent un placement de 100 lampes.
Le conseil municipal après délibération approuve l’ensemble du projet d’éclairage électrique dont l’achat de l’usine appartenant à MM. Espezel et Labourmène pour le prix de 16.000 F. Le projet est soumis à l’inspecteur général des mines Villot qui, après examen, apporte quelques modifications mentionnées dans son rapport du 15 juin 1890.
Le 20 août 1890, le maire, faisant état de l’impatience de la population en ce qui concerne la réalisation du projet d’éclairage demande à ce que la construction des canaux de l’usine soit faite en été, saison favorable aux travaux en rivière. Mais le projet d’établissement de l’éclairage électrique n’est approuvé par le préfet de l’Aude que le 14 octobre 1890.
Le dimanche 16 octobre 1890 a lieu à la mairie l’adjudication de trois lots des travaux d’établissement d’une usine hydraulique et des appareils nécessaires à l’éclairage à l’électricité de la ville et des particuliers.
Le premier lot concernant la maçonnerie et la menuiserie est adjugé à Théodore Bouchou, maçon a Quillan, pour la somme de 3 283,80 F.
Le deuxième lot intéresse la fourniture d’une turbine de 40 chevaux. La commande est passée à Joseph Roger, ingénieur des Arts et Manufactures à Carcassonne, pour un montant de 5 400,00 F.
Le troisième lot comprend la fourniture par la Société Alsacienne de Belfort de tous les appareils électriques pour un coût total de 15 785,80 F.
Un journaliste qui relatait dans le journal «Le Courrier de l’Aude» cette adjudication concluait ainsi :
«Voilà, certes, trois fournisseurs qui font honneur à la petite ville de Quillan et à la décision qu’elle vient de prendre. Elle peut compter, dès maintenant sur un succès certain. »
Les travaux sont aussitôt entrepris et durant plusieurs mois vont aller bon train.

L’INAUGURATION
La ville de Quillan veut donner à l’inauguration de l’éclairage électrique un éclat tout particulier. Des commissions s’occupent activement de l’organisation de la fête dont la date est fixée au dimanche 28 juin 1891.
La municipalité lance des invitations aux principales autorités administratives et électives du département, leur présence devant rehausser l’éclat de cette cérémonie.
De nombreuses et attrayantes distractions seront offertes aux visiteurs qui viendront ce jour là de tout le département. A cet effet, la Compagnie du Midi délivrera les 27 et 28 juin des billets à prix réduits d’aller et retour au départ de Carcassonne et des stations intermédiaires.
Les journaux locaux annoncent le programme des fêtes. Samedi 27 juin :
– à midi, annonce de la fête
– Salves d’artillerie.
Dimanche 28 juin :
– matin : 9 h, excursions à la Pierre Lys, aux bains de Ginoles. à 10 h, distribution aux pauvres. à 11 h 30, réception à la gare des autorités invitées, tour de ville.
à midi, banquet populaire.
– soir : 2 h 30, courses vélocipédiques régionales, jeux divers, mâts de cocagne, courses aux ânes, etc…
Les musiques se feront entendre pendant les jeux de 4 h 30 à 6 h ; concerts sur les principales places. à 9 h, illuminations, foyers électriques, retraite aux flambeaux par les musiques réunies ; grands bals sur divers points de la ville.
Le grand jour est enfin arrivé, de tous côtés de la ville ont été dressés des arcs de triomphe couverts de verdure, de fleurs, de drapeaux. De nombreux visiteurs arrivés par les trains du matin se répandent dans les rues de la ville et à 11 h, deux ou trois mille personnes se rendent à la gare, précédées par la musique de Saint-Paul-de-Fenouillet et la Lyre Quillanaise pour attendre l’arrivée des autorités.
A l’arrivée du train, les deux musiques jouent la Marseillaise. Puis, descendent le préfet, le sous-préfet de Limoux, MM. Chiffre, Limouzy, Frontil, conseillers généraux, M. Dujardin-Beaumetz, député.
M. Munier, maire de Quillan, souhaite la bienvenue aux arrivants auquel répond le préfet. Le cortège se forme pour se rendre à la salle du banquet. Au dessert, M. le Préfet porte un toast au Chef de l’Etat et aux vaillantes populations du canton. Le maire remercie les invités d’être venus honorer de leur présence la fête dont, dit-il, la réussite est due pour une bonne part à son adjoint M. Nicoleau. M. Chiffre, le dévoué conseiller général de Quillan, boit à l’union du parti républicain et à sa prospérité.
C’est au tour de M. Dujardin-Beaumetz, le sympathique député de l’arrondissement de prendre la parole. Dans un discours remarquable, il exalte les vertus des Quillanais «vaillants citoyens d’avant-garde», du progrès, de la république et de la patrie. il termine par ces mots : «Je bois à vous tous, citoyens de Quillan, à vos familles, à votre prospérité, je bois à votre canton dont la devise est toujours : en avant, pour le droit, la patrie, la république et la liberté ». Le discours est frénétiquement applaudi.
Après le banquet, tout le monde se rend sur l’avenue de la Gare où se presse une foule venue nombreuse pour assister aux courses «vélocipédiques». Quatre compétitions régionales sont prévues et ont lieu dans une ambiance joyeuse et bon enfant ; la course de vélocipèdes est gagnée par Fortanier à qui est remis le premier prix de 35 F. La course de tricycles est remportée également par Fortanier et lui rapporte 25 F. La course mixte de vélocipèces et de tricycles voit le triomphe de Raynaud. Enfin, la course d’honneur se termine par une nouvelle victoire de Fortanier. Faisant suite à ces manifestations sportives, la musique de St-Paul-de Fenouillet donne sur la place un concert très apprécié et vivement applaudi.
Cette belle journée touche à sa fin et pourtant l’évènement tant attendu va avoir lieu, la fée électricité va inonder de sa clarté les rues et places de la ville envahies peu à peu par l’obscurité. Tous attendent avec impatience cette minute mémorable et historique, les fanfares jouent quelques airs, puis c’est le silence.
Les vannes sont ouvertes, la turbine se met à ronronner, J. Estrade pose la main sur la manette et d’un geste ferme l’enclenche mais, stupeur, aucune lueur n’apparaît, minute d’angoisse pour tous les responsables ; au même instant retentissent les accents de la Marseillaise qui ne devait être jouée qu’après
l’illumination. Et le miracle s’accomplit, une immense lumière jaillit brusquement sur la ville l’éclairant comme en plein jour. La foule, enthousiaste, applaudit, les fanfares donnent le signal de départ de la retraite aux flambeaux, puis jeunes et vieux se rendent aux deux bals où ils dansent jusqu’à une heure avancée de la nuit.
Ce 28 juin 1891, Quillan devenait la première ville du département de l’Aude éclairée à l’électricité.
SOURCES
Délibérations du conseil municipal de Quillan – 11 novembre 1881 – 6 juillet 1889 – 12 août 1889 – 20 août 1890. Journal «Le Rappel de l’Aude» Journal «Le Courrier de l’Aude» Notice historique sur la Régie Municipale d’Energie Electrique de Quillan, par René Delpech. Rapport